... La cathédrale de Parme présente un plan en croix latine avec trois nefs divisées en sept travées (sans tenir compte des chapelles qui ne font pas partie de l'édifice roman) et des bras de transept de même longueur que le chœur. Il y a cinq absides en tout : l'abside majeure à l'extrémité du chœur, deux aux extrémités du transept et deux (cachées par les sacristies construites ultérieurement) sur les faces Est du transept, c'est-à-dire parallèles à l'abside majeure^ Il faut noter tout de suite que ces deux absides ne sont pas dans l'axe des nefs latérales et n'en constituent donc pas la terminaison idéale. Il ne s'agit pas là d'une observation marginale : le plan de la cathédrale n'est pas celui d'un édifice basilical à trois absides coupé par un transept, mais bien la juxtaposition d'une structure longitudinale à trois nefs et d'une construction à plan centré entièrement autonome et réparti sur deux niveaux différents (crypte et sanctuaire). ... La nef centrale est flanquée de chaque côté par des tribunes élevées au-dessus des nefs latérales et qui s'ouvrent sur la nef par des baies quadruples. La croisée du transept, le chœur et les deux croisillons dessinent en plan quatre carrés égaux entre eux disposés autour des supports constitués des quatre piliers centraux ; avec leurs côtés absides ils forment un tau polylobé. La couverture en voûtes à nervures atteint le niveau des voûtes de la nef. Sur la croisée est tendue la coupole appuyée sur la tour-lanterne octogonale, qui est issue de la tour carrée de base par l'intermédiaire de quatre pendentifs. Quatre escaliers en colimaçon sont insérés (presque « forés ») à l'intérieur des maçonneries épaisses et donnent accès aux tribunes et aux coursives de service : deux dans les piliers d'angle de la façade et deux dans les piliers Est de la croisée. La façade donne sur la place de la cathédrale. ... A droite de la façade se dresse la masse octogonale du baptistère; en face, la longue façade du palais épiscopal de 1232-1234, restauré au XXe siècle avec suppression des superstructures et des modifications postérieures. La cathédrale, le clocher et le baptistère s'embrassent d'un seul regard depuis l'angle Nord-Ouest de la place. Les couleurs sont diverses mais bien harmonisées entre elles : sur la façade de la cathédrale dominent le grès et la pierre grise, relevés de précieuses touches de marbre rose de Vérone ; le clocher est entièrement en brique, encadré de pilastres d'angle en pierre et de corniches d'arceaux également en pierre ; sur le baptistère domine le marbre de Vérone dans toutes ses chaudes nuances allant du rose au rouge intense. ... La silhouette [de la façade] reste à double pente et ses proportions sont celles d'un carré : la largeur est de 28 m et la hauteur au sommet, de 29. La différence de 1 m correspond au rehaussement de la corniche de l'égout du toit effectué par les artisans de Campione; dans le projet originel, la hauteur était de 28 m et le carré était parfait. Le parement n'offre aucun décrochement, sans contreforts d'angles ni pilastres médians (les deux contreforts de section triangulaire qui surmontent le porche sont une licence poétique des restaurateurs du XXe siècle). Le jeu d'ombre et de lumière et le mouvement reposent entièrement sur les galeries qui ajourent la façade au-dessus des portails et confèrent au lourd pentagone une extraordinaire légèreté. Une première galerie traverse la façade à la hauteur des tribunes, et est formée d'arcades groupées trois par trois ; une autre, semblable, se déploie à l'étage supérieur, et une troisième avec des arcs plus petits court parallèlement aux rampants du toit. Les colonnes de cette dernière galerie se prolongent au-dessus des chapiteaux par des colonnes adossées qui se raccordent à la frise d'arceaux entrecroisés le long des rampants. Au-dessus des arceaux se déploie l'habituelle corniche en dents d'engrenage, et celle-ci devait, dans le projet initial, terminer la décoration. Ce qui se trouve au-dessus (la corniche en torsade et le motif à petits échelons) est une adjonction due aux artisans de Campione, on l'a dit, et elle explique le mètre en excédent par rapport aux proportions du carré parfait. L'adjonction n'est pas gratuite; elle s'inscrit dans la surélévation générale du toit que l'on dut opérer pour construire les voûtes à la place de la charpente apparente originelle. En ajoutant une frise décorative, les artisans de Campione ont également ajouté les colonnes adossées qui surmontent la dernière galerie et transformé les arceaux de simples (qu'ils étaient probablement) en entrecroisés. ...
... [L]e porche dans son aspect actuel est une œuvre des artisans de Campione signée et datée : l'année, 1281 et l'auteur, Gianbono da Bissone. La date et la signature sont gravées en une belle inscription latine sur le linteau, accompagnée de deux dessins représentant un lion et un dragon. Les lions de Gianbono (personnages aimés et familiers qui ont porté en croupe tous les enfants de Parme de 1281 à nos jours) sont placés sur un piédestal haut de près de 1 m (exactement 90 cm) ; et au même niveau nous trouvons une pierre rapportée qui rehausse d'autant les faisceaux de colonnes en ébrasement constituant les piédroits du portai. ...
... Le décor sculpté des portails est assez simple en ce qui concerne les deux portails latéraux : arc à trois voussures concentriques décorées de feuillage ou de rinceaux, et chapiteaux également groupés par trois, quelques-uns historiés. Parmi ces derniers, notons sur le portail de droite une Visitation très abîmée (chapiteau de droite), et sur celui de gauche une pseudo-sirène ou bien une femme à califourchon sur un poisson (chapiteau de gauche). Les sculptures du portail central sont plus élaborées et plus importantes : un faisceau de colonnes en ébrasement comprenant cinq éléments à la suite des montants, avec une archivolte à cinq voussures concentriques finement sculptées; au-dessus du linteau avec l'inscription de Gianbono, une frise décorative sculptée de rinceaux habités de petits personnages, centaures, chasseurs, chiens et animaux en fuite. Celle-ci continue sans interruption sur les chapiteaux de l'ébrasement et - avec un dessin plus simple, sans figures - le long des impostes de la voûte en berceau du porche. ...
... Les deux flancs de la cathédrale, ..., sont entièrement occupés par des chapelles du XIVe siècle, et c'est seulement dans les murs hauts de la nef centrale qu'apparaissent des éléments de la maçonnerie romane, qui d'ailleurs permettent des observations intéressantes. Les chapelles du flanc méridional occupent, ..., une partie de l'ancien « Paradis » et en ont d'une certaine façon hérité la fonction : celle de lieu de sépulture pour les nobles. Elles sont construites selon un projet d'ensemble et leur mur extérieur est continu, comme celui d'une cinquième nef. La dernière chapelle avant le transept est la transformation de l'ancien oratoire Sainte-Agathe antérieur à la cathédrale et « phagocyté » par elle. Sur le flanc Nord, par contre, les chapelles forment un ensemble beaucoup plus incohérent, et apparaissent comme des adjonctions successives, autonomes; la première à partir de la façade (chapelle du Consortium) a une abside semi-cylindrique en saillie, et la cinquième (chapelle Valeri) en a une polygonale. Toutes sont décorées dans le style gothique lombard avec abondance de frises en brique, d'arceaux entrecroisés, et autres choses semblables. En ce qui concerne la bâtisse romane, les détails les plus intéressants que nous pouvons observer sur les flancs sont les témoins de la transformation du système de couverture, passant d'une charpente apparente à des voûtes : le rehaussement de la maçonnerie au-dessous du toit, quelques traces du décor originel d'arceaux (en plein cintre et non entrecroisés) et les contreforts faits d'un mur transversal plein le long du mur haut de la nef centrale en correspondance avec les piliers pour neutraliser la poussée horizontale des voûtes. Ces contreforts n'étaient pas nécessaires avec la couverture en charpente apparente et les seuls éléments de renforcement étaient de simples contreforts de section pentagonale; nous envoyons encore une portion dépasser au-dessus des contreforts en forme de murs. Venons-en pour finir aux absides, la partie la plus vivante, la plus originale, la plus animée de l'architecture de notre cathédrale. Le meilleur angle où se placer pour les voir (si possible le matin au soleil) c'est l'angle Sud de la place San Giovanni, là où débouche la rue du Faubourg du Corrège. Ici, l'effort d'imagination que nous devons déployer pour reconstituer l'architecture originale est encore plus important que dans le cas de la façade. Il nous faut en effet éliminer complètement les deux grands cubes des sacristies insérées entre le chœur et les flancs du transept, prismes en maçonnerie sans ornement, du genre prison, à fenêtres rectangulaires grillagées de fer. Une fois enlevés les cubes, nous verrons apparaître au flanc du transept l'abside masquée, égale en diamètre et en hauteur à celle de l'extrémité du transept lui-même, et celle-ci servait de lien visible avec l'abside centrale, plus haute, rétablissant le jeu original de volumes cylindriques et prismatiques qui constituait la base du projet. ...
... Observons en effet les volumes prismatiques du chœur et du transept. L'extrémité à laquelle est adossée l'abside centrale est nettement plus haute qu'à l'origine, et le surhaussement est repérable dans la zone décorée d'une arcature aveugle avec colonnes adossées et arceaux entrecroisés. Ce décor caractéristique, dû aux équipes de Campione, se poursuit le long des flancs du chœur, tandis qu'au transept nous trouvons à la place, au même niveau, le motif Renaissance des compartiments, ou des caissons comme on veut les appeler. Cette frise est tout entière surajoutée par rapport aux volumes prévus à l'époque romane; mais la tour octogonale devrait elle-même être remplacée -dans une reconstruction rigoureuse - par une tour plus basse, sans doute de base carrée et couverte d'un toit en pyramide. ...
... Du côté Nord, le chevet est plus riche et plus avantagé : il existe ici aussi une sacristie-cube, mais un peu plus petite et surtout suffisamment plus basse pour laisser dépasser le haut de la seconde abside masquée, au moins en partie. La perspective, par contre, est moins heureuse, l'espace manquant pour prendre du recul et avoir une vue d'ensemble des architectures. Le monastère Saint-Jean les serre de près et c'est seulement de ses toits que l'on peut jouir de Ia vue la plus belle et la plus complète sur les absides. Livrons-nous maintenant à un examen plus détaillé, en commençant par l'absidiole du croisillon Sud, la plus sobre de décor. Sur une plinthe haute et massive s'élèvent de larges pilastres qui divisent en cinq panneaux la surface semi-cylindrique, sont coiffés de chapiteaux et sont reliés entre eux par des arcs aveugles. Les sculptures des chapiteaux et des voussures relèvent toutes du chantier de l'époque romane, Dans trois des cinq panneaux s'ouvraient, un panneau sur deux, les fenêtres originelles à deux niveaux, en haut sous les arcs aveugles et en bas pour éclairer la crypte; mais le système des ouvertures dans cette abside et dans les autres a été complètement modifié : on a bouché presque toutes les fenêtres romanes primitives (étroites et fortement ébrasées, comme le demandaient les conditions de l'époque où le verre était de fait inexistant) et on les a remplacées par d'autres plus grandes. Au-dessus des arcs aveugles court une galerie d'arcs sur colonnes, comprise entre deux frises d'arceaux : l'une souligne la base de la galerie, avec tous les cinq arceaux une demi-colonne qui retombe sur les chapiteaux des pilastres au-dessous; une autre en haut à l'endroit accoutumé, sous l'égout du toit, est couronnée par l'habituelle frise en dents d'engrenage. La galerie a de simples archivoltes en brique ou en blocs de pierre non sculptée ; c'est la seule parmi les absides à ne pas présenter de décor. Il est probable que c'est la conséquence d'un simple arrêt de travail par manque de fonds. On trouve en effet quelques éléments décoratifs épisodiques assez élaborés pour suggérer un riche programme initial de décoration : l'extrados sculpté de quelques-uns des arceaux, et les chapiteaux-consoles qui présentent des faces sculptées vers l'intérieur de la galerie. A l'extrémité du transept, au-dessus de l'abside, se déploie une autre galerie avec arcs et colonnes qui se continue également sur les deux flancs ; au-dessus nous trouvons le rehaussement déjà mentionné décoré sobrement de caissons. L'abside centrale jouit du décor le plus riche, réparti cependant selon le même schéma que celui de l'abside précédente : division de l'arrondi en cinq panneaux par des pilastres à chapiteaux et arcs aveugles, galerie d'arcs sur colonnes à chapiteaux-consoles comprise entre deux rangées d'arceaux, demi-colonnes qui prolongent les pilastres au-dessus des chapiteaux et rejoignent la première rangée d'arceaux, ouvertures réparties à l'origine (modifiées ensuite) en deux registres de trois fenêtres chacun. Mais ces éléments sommairement décrits diffèrent dans leur exécution. Les chapiteaux des pilastres sont tous figurés. On y trouve la femme de l'Apocalypse chevauchant le dragon à sept têtes, un centaure qui décoche une flèche à un dragon, Samson qui brise la mâchoire du lion, et d'autres thèmes encore. Malheureusement la longue exposition aux intempéries et la friabilité du grès ont grandement endommagé ces chapiteaux, et cette remarque vaut pour presque toutes les sculptures des absides. Les cinq arcs aveugles qui unissent les pilastres ont des archivoltes sculptées en assez haut relief, et sont enrichis de deux bordures en dents d'engrenage en brique, l'une longeant l'intrados, l'autre l'extrados. L'archivolte médiane porte les quatre symboles des évangélistes et d'autres animaux mythiques, et les archivoltes voisines sont, elles aussi, sculptées d'animaux. Les arceaux à la base de la galerie sont entrecroisés et le motif habituel des dents d'engrenage les couronne. La surface comprise entre ces arceaux et les arcs aveugles au-dessous porte un parement de mosaïque d'un grand effet décoratif, semblable à celui de l'atrium de Pomposa : petits cubes alternés de brique et de pierre qui dessinent un damier animé rouge et ris. Cette mosaïque fait défaut au-dessus des deux arcs du côté Sud. Les arcs de la galerie sont portés par des chapiteaux-consoles, sculptés sur le devant mais généralement lisses sur les flancs. Les archivoltes, par contre, sont sculptées de motifs ayant fait l'objet d'une véritable recherche (palmettes, torsades, rinceaux, feuillage, volutes), de telle manière que chaque arc soit différent du voisin. On trouve même quelque arc privé de décor ; et ceci confirme - comme dans le cas de la mosaïque en damier - que le programme décoratif a subi un arrêt avant d'avoir pu être achevé. On trouve enfin la frise d'arceaux sous l'égout du toit, qui est peut-être la plus riche et la plus élaborée de tout le roman lombard. Les arceaux (on peut noter qu'il y en a vingt-sept) entourent en effet sur chaque tympan un figurant du bestiaire médiéval, animal réel ou imaginaire; et tout l'ensemble est relié par une guirlande feuillue à trois brins qui passe sans interruption d'un arceau à l'autre, emprisonnant de diverses manières les animaux (elle prend le levraut par la patte, est tenue par le bec de l'aigle, passe sous l'aile de la colombe, est prise dans les crocs du loup...) et remplissant de son feuillage les écoinçons entre les arceaux. L'abside du transept Nord est pratiquement identique à l'abside centrale, à part quelques variantes, comme le motif à denticules qui revient fréquemment dans.les archivoltes de la galerie, et l'absence de la guirlande reliant les arceaux; mais on y retrouve l'extraordinaire anthologie du bestiaire, avec des inventions toujours renouvelées. Certains des chapiteaux des pilastres méritent une attention particulière : un cerf assailli par un dragon, et un Samson qui ébranle les colonnes du temple, avec Dalila à côté. Regardons pour finir l'angle formé par le chœur et le transept Nord, très riche en thèmes décoratifs. C'est là que se trouve la seconde des absides masquées, émergeant partiellement du toit de la sacristie-cube; suffisamment pour qu'on puisse (dans la mesure où on peut le voir d'en bas) constater la présence des mêmes éléments décoratifs et architecturaux : les chapiteaux-consoles, les archivoltes à denticules, les arceaux avec les animaux dans les petits tympans, et au-dessus d'eux encore deux frises en dents d'engrenage et une moulure soignée. ... Il vaut toutefois la peine de noter sur le flanc Nord du chœur la réapparition de la mosaïque en damier avec brique et pierre, qui à l'évidence aurait dû, dans le projet initial, occuper bien d'autres surfaces.
L'intérieur
La première impression éprouvée en entrant dans la cathédrale de Parme n'est pas celle d'un monument roman. C'est en effet la couleur qui frappe tout d'abord, non pas l'architecture; et la couleur est celle des fresques du XVIe siècle qui recouvrent tout : les murs, les voûtes, arcs et nervures, puis, en avançant vers le sanctuaire, les transepts et la coupole. ... Sur les murs et sur les voûtes, les fresques de la fin du XVIe siècle constituent une somptueuse tapisserie aux teintes chaudes, presque veloutée, exactement le contraire de l'image que l'on se fait normalement d'un monument roman : sèche, rigoureuse, avec une maçonnerie visible en brique ou en pierre (ou tout au plus sobrement enduite de chaux), où les éléments architecturaux ressortent avec évidence. ... Voyons maintenant le système des supports. Il présente une alternance entre des paires de piliers principaux plus forts et des paires de piliers plus sveltes. Ce système a sa logique, puisqu'il doit supporter, au-dessus de la nef centrale, une couverture faite de voûtes carrées, chacune reposant sur deux paires de piliers principaux, tandis que les nefs latérales sont divisées en travées deux fois plus courtes; les piliers secondaires sont donc prévus pour diviser en deux la longueur des travées en recevant les arcs des grandes arcades et les éventuels arcs transversaux des nefs latérales. La section polylobée des piliers est commandée par les arcs qu'ils doivent supporter, et le pilier se présente comme un faisceau d'éléments dont chacun a une fonction portante. Les piliers principaux ont toujours un élément (généralement une demi-colonne) qui s'élève vers l'intérieur de la nef sur toute la hauteur de la paroi jusqu'à l'imposte de la voûte; les piliers secondaires n'ont pas besoin de cette saillie et peuvent se terminer au-dessous de la paroi à l'imposte des grandes arcades. Dans le cas de Parme, nous constatons que les piliers principaux comme les piliers secondaires se continuent par un élément en saillie au-delà du chapiteau. Mais ils sont nettement différenciés : sur les piliers principaux, la saillie est constituée d'un large pilastre rectangulaire (destiné à recevoir les arcs-doubleaux de la voûte) flanqué de deux colonnes (pour les nervures en diagonales); sur les piliers secondaires, cette saillie est constituée d'une svelte demi-colonne. ...
... La nef centrale, caractérisée par un grand élan vertical, est la partie la plus fidèle à l'original roman, en dépit du revêtement pictural. La seule modification architecturale est la disparition des arcs aveugles dont nous avons vu un témoin dans la septième travée de gauche; en compensation, la cathédrale a échappé aux transformations baroques qui ont dénaturé tant d'autres églises romanes. Les tribunes, parfaitement praticables (et non fausses tribunes comme celles de Modène, dépourvues de sol sont malheureusement fermées au public. Cela prive le visiteur d'un point de vue privilégié pour la vision et la compréhension de l'architecture et empêche d'examiner de près la sculpture des chapiteaux. Les voûtes en croisée d'ogives des tribunes se rattachent à la campagne de travaux de la seconde moitié du XVIe siècle : à l'origine, la couverture était faite de poutres en bois apparentes. Par contre, les voûtes d'arêtes des nefs latérales remontent à la première campagne de construction (le « moment roman ») ; mais en parcourant ces nefs, nous retrouvons fort peu les volumes et les rapports spatiaux prévus à l'origine. Les chapelles latérales constituent, en effet, comme une nef supplémentaire de chaque côté, et les nefs latérales servent désormais de simples corridors pour passer en revue la rangée des chapelles, closes de grilles somptueuses. ... L'espace de la septième et dernière travée est entièrement occupé par l'escalier de seize marches qui monte au sanctuaire, déployé sur toute la largeur des trois nefs, ... De retour dans la nef, ... nous ne pouvons donc saisir que bien peu de chose (et ce peu, avec peine) de la riche anthologie sculptée des chapiteaux, d'autant plus que les tribunes - je l'ai dit - sont interdites au public. Plus que d'une anthologie nous devrions parler d'une véritable « somme » de sculpture répartie sur trois niveaux, et il suffira de quelque exemple pour le confirmer. Au premier niveau, nous trouvons les trente chapiteaux des piliers, dont la moitié présente quatre blocs distincts, c'est-à-dire autant d'œuvres autonomes sculptées séparément et « assemblées » ultérieurement (le chapiteau monolithique n'est certainement pas possible au-delà d'une certaine dimension). Au second niveau nous trouvons les chapiteaux des tribunes : quarante-deux, monolithiques, pour les colonnes des baies quadruples et seize en plusieurs blocs pour les piliers. Au troisième niveau, les chapiteaux des éléments en saillie sont au nombre de dix-huit, alternativement simples (saillants secondaires) ou en trois morceaux (saillants principaux). En y ajoutant les soixante-six de la crypte, le total des chapiteaux s'élève à cent soixante-douze; et en tenant compte des chapiteaux en plusieurs morceaux, le total des pièces sculptées atteint deux cent soixante-dix-huit... [L]es sculptures à l'intérieur et à l'extérieur de la cathédrale appartiennent toutes - sauf celles d'Antelami et des Campione, bien reconnaissables - à la même campagne de construction que les œuvres de maçonnerie, c'est-à-dire aux années comprises entre 1090 et 1130. Parmi les différentes mains qui ont travaillé ici, on retrouve une thématique commune en plus d'un langage commun. ... Nous avons déjà rencontré à l'extérieur le maître des travaux des mois, le chef d'école présumé ou, en tout cas, l'artiste le plus en vue. A ses côtés, on en repère d'autres que l'on peut désigner par le nom de leurs œuvres les plus significatives, celles qui révèlent le mieux les accents de leur langage personnel. Le maître des vendanges apparaît sur un chapiteau du côté droit de la nef avec deux personnages de vendangeurs, un homme et une femme, occupés à cueillir des grappes sur une vigne extraordinairement contournée. Le maître de l'Apocalypse tire son nom de la scène où la femme de l'Apocalypse chevauche le dragon à sept têtes. Le maître des cavaliers a sculpté sur un même chapiteau trois scènes différentes de combat à cheval. A première vue, ces cavaliers bardés de fer rappellent la même « épopée » légendaire que celle des bas-reliefs de la porte de la Pescheria à la cathédrale de Modène, inspirés ... des récits du cycle breton du roi Arthur; ici, à Parme, aucun élément ne permet le rattachement à des légendes d'au-delà des Alpes, et il est plus probable que le thème soit tiré des aventures des croisés en Terre sainte. La première croisade commença, on le sait, en 1096; et Parme - ne l'oublions pas - était une étape importante sur la route des pèlerins. Les trois bas-reliefs représentent respectivement un cavalier à l'assaut suivi d'un valet armé d'une lance, un duel à l'épée entre deux cavaliers affrontés, et une scène de bataille. Tous les personnages ont le heaume sur la tête et sont protégés par de longs boucliers. La scène de bataille est, parmi les trois, celle qui est composée avec la plus grande puissance d'imagination, réalisée sur deux plans avec trois figures seulement : un cavalier donnant l'assaut, la lance levée, un cavalier blessé et tombé qui se relève en s'agrippant à la selle, et au second plan un cheval en fuite, non monté, qui porte accroché à la selle le bouclier de son cavalier désarçonné. La main du maître des travaux des mois se reconnaît dans de nombreux chapiteaux; certains de fantaisie (un jongleur la tête en bas, dans un enchevêtrement de pampres, un étonnant centaure qui transperce d'une flèche un cerf, des lions et des dragons entremêlés qui se déchirent les uns les autres, quatre sirènes à double queue, etc.), d'autres par contre historiés. Parmi ceux-ci: saint Martin partageant son manteau avec un pauvre (en deux versions différentes), les archanges qui transpercent le dragon et le démon, le sacrifice d'Isaac, la visite des anges à Abraham et Sara, le vol prodigieux d'Alexandre le Grand, saint Nicolas qui fournit une dot à trois jeunes filles pauvres que leur père voulait livrer à la prostitution. Et enfin le plus célèbre et le plus discuté des chapiteaux de Parme : l'âne enseignant vêtu comme un moine avec les loups ses élèves sur le second pilier de la tribune de gauche. L'âne, assis et dressé, tient avec hauteur dans sa patte la férule du maître et se tourne vers deux loups ses élèves, vêtus eux aussi de la coule de moine ; l'un tient un livre entre les pattes, l'autre se retourne distraitement. Il suffit de quelques touches habiles (dents pointues et œil féroce) pour évoquer le loup, et d'autant pour brosser l'âne. Sur le livre ouvert du loup on lit : est monachus factus lupus hic sub dogmate tractus. Dans l'interprétation de ce bas-relief, on a recherché diverses références à des fables ou des légendes du genre de celles d'Ésope, mais peut-être que l'interprétation la plus convaincante est l'interprétation historique (de Quintavalle) selon laquelle il s'agirait d'une claire allusion aux événement survenus à Parme. Comme nous l'avons vu, l'année 1106 y sépare la longue période des évêques schismatiques et rebelles du retour à l'obéissance avec l'épiscopat de San Bernardo degli Uberti. Au changement d'orientation politique de l'église de Parme fait suite un changement dans la thématique même des sculptures qui doivent se faire didactiques, moralisatrices, édifiantes. Plus de dragons et de sirènes, donc, mais des scènes exemplaires de la vie des saints et de sévères avertissements contre les dangers de l'hérésie. Dans ce filon iconographique imposé par saint Bernard (degli Uberti) rentrent de nombreuses œuvres du maître des travaux des mois : l'épisode de saint Nicolas et des trois jeunes filles, les deux versions du manteau de saint Martin, la défaite du dragon et du démon par les archanges; et surtout l'âne enseignant où nous pouvons reconnaître un évêque schis-matique Càdalo ou l'un des autres tandis que les loups habillés en moines représenteraient le clergé corrompu, simoniaque et concubinaire qui afflige l'Église lorsque l'hérésie est assise dans la chaire. ...
(extrait de : Emilie romane ; Sergio Stocchi, Ed. Zodiaque, Coll. La nuit des Temps, 1984, pp. 199-220)
Coordonnées GPS : N44.803093 ; E10.330404