Les 40 ans d’une course mythique La Route du Rhum s’élancera de Saint-Malo dimanche 4 novembre 2018, comme toujours à 13h02, pour satisfaire à sa retransmission en direct sur France Télévisions.
La célèbre transatlantique, organisée tous les 4 ans, fête cette année ses 40 ans.
Créée en 1978 par Michel Etévenon, un publicitaire parisien et homme de spectacles, elle est désormais « barrée » par Pen Duick, une société appartenant au groupe de presse Le Télégramme. 3 500 miles, soit un peu plus de 5 600 km, séparent Saint-Malo de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, théâtre d’arrivée de cette transat en solitaire. 98 secondes pour une éternité Ils étaient 38 à s’y jeter à l’eau la première fois, en 1978.
Il y avait là Olivier de Kersauson, Philippe Poupon, Florence Arthaud et Bruno Peyron.
Cette édition d’anthologie connaîtra un final incroyable entre Mike Birch et Michel Malinovsky.
Le skipper français est dépassé par le premier nommé, Canadien, à moins d’un kilomètre de l’arrivée. 98 secondes séparent les deux hommes sur la ligne d’arrivée. « 98 secondes pour une éternité » titrera en gros sur sa Une le journal L’Équipe au lendemain de l’événement.
Le drame Manureva 1978, c’est aussi la disparition tragique d’Alain Colas et de son trimaran Manureva. Juste avant que le contact ne soit rompu, le marin lance un appel désespéré au PC Course : « Je suis dans l’œil du cyclone. Il n’y a plus de ciel, tout est amalgame d’éléments, il y a des montagnes d’eau autour de moi ». C’était le 16 novembre 1978 à 4h.
123 bateaux au départ
C’est une édition record qui s’annonce cette année. Dimanche 4 novembre, au départ de la Route du Rhum, au large de Cancale, 123 skippers s’élanceront en solo vers Pointe-à-Pitre.
Ils sont répartis en 6 catégories. Les stars de la course sont regroupées en catégorie « Ultime ».
Ils seront 6 géants des mers à voler sur l’eau en tête de peloton. Les autres bateaux se partagent entre les catégories « Multi 50 », « Imoca », « Rhum multicoques », « Rhum monocoques » et enfin la plus nombreuse la « Class 40 » (53 engagés).
Celle où se côtoient, sur des monocoques de 12 mètres 40, marins aguerris et passionnés de la course au large. Des hommes partis pour certains pour réaliser le rêve d’une vie.
Le record pour Peyron 7 jours, 15 heures, 8 minutes et 32 secondes.
Sur la Route du Rhum, ils sont six engagés en Multi50, qui a effectué sa révolution copernicienne ces dernières années. Plus vite, plus fort, plus fiable et sécurisant, ce type de bateaux se cherche un nouvel essor. Le point avec l’actuel et l’ancien dirigeant de la classe.
« On a fait le choix fort de se séparer des anciens bateaux, des vintage, pour présenter sur les départs de courses une classe plus homogène avec des bateaux de mêmes dimensions, qui aient la même hauteur de mât, qui se ressemblent tous un peu tant en termes de performance que de visibilité. »
Erwan Le Roux, skippeur de FenêtréA-Mix Buffet et qui en est à son troisième mandat de président de la classe des Multi50, vainqueur de la Route du Rhum 2014 dans la catégorie, pose les enjeux qui se sont présentés lorsqu’il a pris la succession de Franck-Yves Escoffier, retiré des bateaux après trois victoires dans la reine des Transats et autant dans la Transat Jacques Vabre.
Les Multi50 avaient déjà connu un bel essor sous le règne de son prédécesseur – 11 bateaux engagés il y a quatre ans – mais qu’il convenait de moderniser. Pour lui conférer un aspect plus sportif, pour faire en sorte, aussi, de dépoussiérer. « Ça signifiait se passer de certains », dit-il. Aucune hésitation à trancher dans le vif. Cette année, ils auraient dû être 7, « mais on en a perdu un l’année dernière (l’ex Crêpes Whaou II de Franck-Yves Escoffier, Drekan Groupe d’Éric Defert et Christopher Pratt, chaviré au large des Açores pendant la Transat Jacques Vabre). Quand on a décidé ça, l’objectif était d’arriver au départ de la Route du Rhum avec six à huit bateaux neufs. Il est donc partiellement rempli, avec six bateaux qui peuvent gagner. »
2,2 millions d'euros à la construction
L’affaire est passée par une exigence technologique accrue, et par là même un niveau de pilotes plus aguerris aux joutes rapides sur des bateaux qui lèvent facilement la patte. Les trimarans de 15,24 m ont donc embrayé et suivi la marche engagée tant en Ultimes qu’en Imoca : « On les a modernisés, on a posé des foils, on a essayé de les rendre plus vivants et aériens, et du coup ça a intéressé d’autres skippeurs, Thierry Bouchard, Thibaut Vauchel-Camus, Armel Tripon qui ont contribué à faire que cette classe se dynamise. » Réussite sur toute la ligne, même si cela a supposé une réduction des effectifs et un appauvrissement du nombre pour plus de qualité intrinsèque.
Pas question pour autant de céder à tout, dans un but avoué de coûts limités même si aujourd’hui un Multi50 coûte 2,2 millions d’euros à la construction, et nécessitent globalement un budget annuel de 800 000 euros (amortissement de la machine compris) : « Le carbone reste autorisé pour les bras de liaison, coques et flotteurs restent en verre (plis de verre et mousse en sandwich), et on reste ouverts pour continuer de moderniser la jauge mais on ne pense pas que le tout carbone soit un facteur très important de modernité. » En revanche, d’autres pistes sont explorées. « Les plans porteurs sur les safrans et les mâts basculants en revanche vont dans ce sens, et ce sont des perspectives qu’on explore aujourd’hui. »
« Les bateaux sont plus aériens »
Déjà, l’apport des foils a représenté un bond en avant conséquent. Cinq des six bateaux qui se présenteront dimanche sur la ligne de départ en sont dotés (seul La French Tech Rennes-Saint-Malo de Gilles Lamiré en est dépourvu), et les deux plus récents de la flotte ont été construits autour de ces appendices « volants » : « Très clairement, ils ont constitué un gain de sécurité, et si Drekan en avait eu je pense qu’il n’aurait pas chaviré, assure Le Roux. Moi qui ai navigué avec et sans, je ne comprends pas qu’on n’y soit pas passés avant… Les bateaux sont plus aériens, on a gagné en confort dans de la mer au près – avant dans 2,50m de mer le flotteur s’enfonçait quand maintenant la capacité de naviguer dans de la mer est passée à 3,50m et on a un énorme gain en matière de sécurité d’enfournement et de risque de sansir (chavirer par l’avant). Ça nous permet d’atteindre des vitesses qu’on n’atteignait pas avant dans 3 mètres de mer. »
Du même coup, les performances ont naturellement pris un coup de pied aux fesses. À conditions météo égales par rapport à 2014 où il avait mis 11 jours et 15 heures pour traverser, Erwan Le Roux estime qu’un 50 pieds à foils parcourrait la distance en 10 jours, « et il y a quatre ans on aurait quasiment pris le même régime météo que les Ultimes », ce qui aurait notamment évité le gros décrochage enregistré au cap Finisterre. Cette année permettra de mieux mesurer le chemin effectué. Mais une donnée reste incompressible : celle de la longueur. Quoi qu’il en soit, en dépit du double de longueur qu’affichent les plus grands trimarans, les Multi50 ne mettront pas deux fois plus de temps pour rallier Pointe-à-Pitre.
Franck-Yves Escoffier : « De notre temps… »
« Il y a plus de bateaux compétitifs ! Je vais parler comme un vieux, mais de notre temps, il y avait deux, trois, quatre bateaux plus des vintage, la flotte n’était pas homogène. Quand j’étais président de la classe, mon but était de ne pas exploser les budgets et j’ai toujours freiné. Mais on avait souvent discuté et on savait qu’un jour il faudrait progresser pour réduire les écarts entre classes sur les arrivées et si on n’évoluait pas les monocoques de 60 pieds auraient fini par arriver devant nous ce qui n’aurait pas été normal pour un multicoque. Ils sont donc passés aux foils au bon moment.
J’ai simplement eu le mérite d’aller dans cette classe-là, et de faire des régates avec de très bonnes vitesses moyennes. Maintenant, c’est sûr que pour gagner le Rhum ça va être plus difficile. Sur les six bateaux, il y en a cinq très récents ou qui se sont dotés de foils (seul celui de Gilles Lamiré n’en est pas équipé), donc dire qui va gagner… Ces cinq-là peuvent. J’aimerais qu’il y ait plus de bateaux, parce que quand cette classe a été créée en 2005 après ma victoire dans la Transat Jacques Vabre c’était l’idée, et je ne comprends toujours pas pourquoi plus de skippeurs professionnels ou amateurs très éclairés n’y viennent pas. C’est vrai que ça reste cher, mais très abordable par rapport aux ultimes. On est dans le vrai bateau de belle PME et le problème, c’est qu’aujourd’hui il y a un fossé entre les Ultimes et les Multi50, il n’y a rien d’autre. Bien sûr, et c’est le propre du multicoque, ce type de bateau peut se retourner et si ça se produit à plus de 300 milles des côtes le risque est grand de le perdre, mais c’est justement pour ça qu’il en faudrait plus, pour qu’il en reste toujours un petit peu.
À l’origine, on s’était dit avec nos partenaires un skippeur, un assistant. Et certains ont débordé, je ne leur en veux pas parce qu’ils avaient les moyens d’étoffer les équipes, que ça nécessite aussi de la recherche, énormément de développement sur les pilotes automatiques… Ce sont des bateaux qui vont très vite, beaucoup plus vite que ce qu’on faisait ! Nos pointes de vitesse avec Crêpe Whaou 3 (en 2009) sans foils c’était 32 nœuds, maintenant ils frôlent les 40 nœuds ! Thibaut a réussi à faire 40 nœuds par mer plate avec beaucoup de vent et sous le vent de la côte, ce qu’aucun skippeur n’aurait été capable de prévoir il y a dix ans. C’est énorme sur un 50 pieds, les Ultimes de 32m marchent à 48 nœuds en pointe…
On est en train de progresser, maintenant, je pense qu’il faut s’arrêter aux foils en termes de développement, n’allons pas faire comme les Ultimes, mettre des plans porteurs, des mâts basculants. Il faut se rapprocher de la monotypie, comme ça a été fait pour les foils, et avec des mâts identiques comme ils l’ont fait en Imoca ce qui permettrait de produire des mâts à 10 ou 20 % moins cher, faire des bateaux basiques, même si ce sont des avions de chasse, pour que les sponsors ne viennent pas à débourser trop d’argent tous les ans. C’est certainement la classe où les bateaux sont les plus proches. Vauchel : bateau puissant, beaucoup plus haut sur l’eau pour mieux passer dans le gros temps, et je lui dis en rigolant qu’il ne se gêne pas s’il a la possibilité de passer par le Nord. »
Serge Herbin est le speaker de la Route du Rhum. Et cela ne date pas d’hier ! Ce personnage haut en couleur est un peu le Daniel Mangeas de la voile. Tisseur de liens entre un public néophyte et un univers très technique, il participe à rendre populaire les courses au large depuis plus de vingt ans.
Il court partout, tout le temps. Depuis que le village de la Route du Rhum a ouvert ses portes, la voix de Serge Herbin, le speaker de la course, résonne régulièrement dans les enceintes disposées ici et là. On ne sait jamais vraiment où il se trouve, mais il ne nous quitte jamais vraiment.
« 19 kilomètres contre le vent »
S’il est insaisissable, ce n’est pas volontaire. C’est le job qui veut ça. « Dimanche, j’ai marché 19 kilomètres contre le vent », confie-t-il. Il en faudra plus pour le mettre à bout de souffle. Le micro greffé à la main, Serge est un passionné. La voile, les skippers, les bateaux… Cela fait plus de vingt ans qu’il nage dans cet univers technique. « Au départ, je n’y connaissais pas grand-chose », avoue-t-il. Son aventure a débuté un peu par hasard, en 1995. « Gérard Petipas et Pierre Bogic m’ont contacté car ils cherchaient un présentateur à l’occasion de la sixième édition de la Course de l’Europe », raconte Serge. Ce dernier accepte. À Cherbourg, sa première interview ne manque pas de sel : Loïck Peyron. L’animateur en herbe est impressionné, mais, très social, il se lie rapidement d’amitié avec les skippers qu’il croise.
L’idée était de créer une communion entre les marins et le public. Cela n’existait pas à l’époque sur les courses au large.
Au fil du temps, Serge trouve ses repères dans le monde de la voile. Mais son ambition du départ ne le quitte pas. « L’idée pour laquelle on m’a contacté était de créer une communion entre les marins et le public. Cela n’existait pas à ce moment sur les courses au large », rapporte-t-il. Avec des termes simples, « qui ne sonnent pas faux », sa voix tisse un pont entre « un microcosme très technique » et monsieur tout le monde.
Une ambition d’autant plus importante que la voile n’a cessé de se populariser. « Les disparitions de navigateurs, les grands exploits sportifs, les navires de plus en plus impressionnants… Il y a plusieurs facteurs qui expliquent l’engouement du public pour ce sport », décrypte le speaker. Avec ses 123 bateaux et ses milliers de spectateurs, la onzième édition de la Route du rhum en est l’exemple flagrant.
Des journées marathon
« Il y a une magie particulière à Saint-Malo. J’ai bien dû mal à l’expliquer », avance Serge. « À chaque édition, il se passe quelque chose ». Pour le speaker, l’événement est aussi synonyme de journée à rallonge. « On s’y prépare. Je me couche tôt, je n’abuse pas des spiritueux », livre-t-il. Habituée des foires-expositions sur lesquelles il travaillait autrefois, la voix de la voile est rodée à la foule, aux rencontres et à la narration d’aventures humaines.
Quand on le compare à Daniel Mangeas, le commentateur des courses cyclistes et speaker historique du Tour de France, Serge rigole. « C’est flatteur. En plus on se connaît bien, on est Normand tous les deux ». Mais pas le temps de s’attarder en compliment, l’amoureux de la mer est appelé de toutes parts. À 57 ans, le speaker s’éloigne avec un enthousiasme qui donne le sourire. Ce soir, des centaines de néophytes en sauront un peu plus sur la voile. Qui sait ? Peut-être prendront-ils la mer un jour, sans jamais se douter que c’est Serge Herbin qui leur a plus ou moins soufflé l’idée, un jour d’automne à Saint-Malo.