Basilique romane Très-Sainte-Trinité de Saccargia; commune de Codrongianos, province de Sassari, Sardaigne, Italie
La très remarquable fortune du monument - jamais négligé des circuits touristiques normaux et toujours présent parmi les rares églises que les manuels, même de bon niveau, font entrer dans la description du roman en Sardaigne — ne correspond pas à sa valeur effective de document architectural, principalement parce qu'une analyse attentive révèle qu'il n'y a guère d'élément originel dans ce qui attire facilement le visiteur.
Telle que nous la voyons aujourd'hui, la Très-Sainte-Trinité de Saccargia provient en effet d'une «reconstruction intégrale, effectuée non sans de subtantielles innovations à l'occasion de (...) restaurations mal comprises» en 1903-1906; en récusant résolument de tels «travaux de reconstitution, plus que de restauration», Delogu consacre une note copieuse au relevé de toutes les altérations les plus visibles, en particulier de la façade, du porche et du clocher, constatant l'impossibilité définitive de reconnaître les parties originelles, là où l'on n'a pas le secours de témoins photographiques occasionnels. On a préféré limiter ici même la description de l'édifice aux seules structures certainement épargnées par la «restauration». On ne peut en fait être assuré de l'éventuelle fidélité de la réparation des deux étages supérieurs du clocher, car font défaut les documents permettant de connaître la forme d'éléments particuliers tels que les colonnettes et les chapiteaux des ouvertures. A l'inverse, de la comparaison entre de vieilles photographies et l'actuelle configuration de la façade principale, on peut déduire la démolition partielle de la façade et complète du porche, respectivement reconstruits en remplaçant la rose par la fenêtre double du premier registre et en réduisant d'un mètre environ la hauteur du porche. Furent aussi refaits entièrement les chapiteaux, les colonnes (sauf les deux demeurées en place aux côtés de la croix du pignon), les corniches, la voussure à personnages — sauf une section de la voussure centrale du porche -, et en outre furent remplacées les incrustations et les coupelles à majolique. Les flancs, le pignon Est, le haut de l'abside médiane furent également reconstruits avec des matériaux modernes dont il est difficile d'établir la conformité aux éléments originels, comme il s'avère impossible de décider de la forme des arceaux primitifs, tous remplacés, et disparus car à l'intérieur de l'église on ne garde que des éléments sculptés ayant jadis appartenu à la façade principale.Il faut enfin prendre acte que, à une époque encore plus récente (après 1953), on a démoli le porche évocateur au côté Sud de l'église, qui faisait fonction de «cumbessias» pour l'hébergement des pèlerins; intervention d'ailleurs bien malheureuse autant qu'injustifiée, car elle a supprimé l'un des traits particuliers de l'édifice avec le seul résultat d'offrir aux regards un parement absolument nu et rendu monotone par le nettoyage rigoureux qui a uniformisé les tonalités de la pierre. Et ce n'est pas la dernière des offenses récentes infligées au monument qui, après l'installation d'une buvette sur les pentes vallonnées qui lui font face, voit menacée sa situation même dans un cirque splendide tout verdoyant à la saison froide.
Dans la zone Sud de l'église, on peut visiter les ruines du monastère, les plus importantes de Sardaigne, ... Sur les bâtiments conventuels, il est particulièrement intéressant de noter la série d'arcades en deux couleurs, peut-être vestiges d'un cloître; à travers le portail pratiqué dans le mur de clôture Est, on atteint la partie postérieure de l'église, caractérisée par la contexture variée des petits blocs des absides.
Celles-ci sont fondées sur une assise de blocs en trachyte sombre en guise de plinthe et se raccordent sans lésènes au mur de fond. Dans le parement lisse de chaque demi-cylindre s'ouvre une fenêtre à double ébrasement lisse. L'abside médiane est plus large et plus haute que les autres, terminées par une corniche à cavet au-dessus d'une assise en trachyte noir; elle s'achève par des arceaux monolithiques taillés à arêtes vives au-dessus desquels se déploie une corniche à cavet identique servant d'appui à la toiture en tuiles. Les murs de fond du transept sont nus et sans ressauts, avec des toits à faible pente, et ils présentent un listel à cavet non parallèle au rampant. Le pignon révèle son appartenance à la campagne de construction de 1180-1200 par son utilisation d'assises bicolores régulièrement alternées au-dessus d'une portion de mur en petit appareil, reste de la construction de 1116. C'est seulement dans la partie haute que l'on constate le recours à des pilastres d'angle surmontés de l'étroite corniche, retour de celle des arceaux et, au centre du pignon, s'ouvre une petite fenêtre cruciforme. Le local adossé au mur terminal Nord du transept est construit en blocs équarris le plus souvent de trachyte noir; c'est en grès jaune doré que sont réalisés, en un contraste de couleurs voulu, la bordure des fenêtres, toutes à ébrasement lisse et au cintre plus ou moins brisé. De la zone au Nord de l'édifice, on peut juger des caractéristiques du très haut clocher, l'un des rares clochers romans intégralement conservés en Sardaigne. La tour carrée est divisée en trois registres, le premier sans ouvertures (à l'exception d'une fenêtre simple au Sud); dans toutes les faces du second s'ouvre par contre une fenêtre double, tandis que dans le dernier se trouve une fenêtre triple par face. A son tour le premier registre se divise en deux grâce à la présence d'une lésène qui détermine deux panneaux sur toutes les faces de la moitié supérieure; dans le bas seuls sont présents de larges pilastres d'angle. L'appareil est entièrement constitué de rangées de blocs blancs et noirs soigneusement équarris et régulièrement alternés. Parvenus à nouveau devant la façade principale, qui renchérit sur l'ordonnance bicolore du parement, on constate avant tout qu'à l'œil le clocher prend une autre dimension du fait que, situé en arrière de la façade, il cesse de paraître disproportionné par rapport à l'ensemble. Si l'on regarde une vieille photo, publiée par Delogu, il est possible de repérer la présence de piliers comme seuls soutiens des arcs du porche; les restaurations de 1903-1906 n'ont gardé que les deux piliers d'angle, remplaçant les autres par des colonnes aux chapiteaux refaits en se basant sur le seul d'origine, conservé à l'intérieur de l'église. Les supports reposent sur un bahut interrompu à l'endroit de l'entrée; les trois arcs en façade sont doublés d'un sourcil orné. La voussure médiane garde des sculptures originelles sur la moitié gauche, avec des animaux fantastiques en marche et un masque humain inséré entre le museau de l'un et la queue de l'autre. Comme ces figures ont été fidèlement reproduites dans la moitié de droite de la voussure, on peut donc penser que les autres voussures dues à la restauration ont pris exemple sur les originaux. L'une et l'autre offrent des rinceaux et des enchevêtrements végétaux richement décorés et abondamment travaillés au trépan. Un chapiteau particulièrement intéressant est celui du pilier d'angle de gauche, avec des bœufs accroupis de grande valeur plastique qui dans leur attitude rappellent des figures animales analogues sculptées au-dessus de l'inscription de fondation du clocher de Pise. Sont également imités d'un modèle roman les deux chapiteaux des colonnes Ouest, avec une rangée de feuilles d'acanthe d'où sortent sous les angles du tailloir, des félins monstrueux aux ailes déployées, curieusement semblables aux gargouilles du gothique français. Mis à part le porche, de construction immédiatement postérieure, la façade rappelle des modèles toscans de la fin du XIIe ou des débuts du XIIIe siècle (San Giusto de Lucques) et se trouve divisée horizontalement en trois registres par de fines corniches au-dessous desquelles s'étendent les sections de parement lisse qui joignent les pilastres d'angle et contiennent les arcades des deux fausses galeries supérieures. Visibles de l'extérieur dans le haut de la façade, dégagées du porche, celles-ci se composent chacune de cinq panneaux aujourd'hui séparés par des colonnettes dont seules sont romanes les deux qui flanquent la petite fenêtre cruciforme au centre du pignon. Avec les réserves qui s'imposent, vu la difficulté d'établir la conformité des matériaux de la restauration aux matériaux originels, il semble que soient intéressantes les voussures médianes, avec des rangées d'oves qui alternent avec des flèches comme dans le kymation ionique, ainsi qu'on en voit sur les intrados classicisants des portails du baptistère de Pise; et surtout les deux losanges jadis de part et d'autre de la rose dans le registre médian et aujourd'hui aux côtés de la fenêtre double. Dans le jeu particulier des incrustations bicolores qui place des triangles le long des bords externes du losange, dessinant des marches d'escalier, il est possible de reconnaître une référence précise aux ornements identiques de Sant'Antioco de Bisarcio (1150-1160), directement issus de la primatiale pisane. Pour finir, il est bon de remarquer la présence de roues à incrustations avec des cercles concentriques de tesselles triangulaires, car ce motif apparaît sans cesse dans la bande décorative qui borde la fresque du Christ en majesté au cul-de-four de l'abside de notre église, preuve d'une exécution presque contemporaine de la construction de la façade. Sous le porche, on peut voir les voûtes d'arêtes en petits blocs de trachyte sombre, fruit d'une technique identique à celle des couvertures des bras du transept (une arcade dans le mur Ouest du bras Nord permettait jadis l'accès à la pièce inférieure du clocher). Avant de franchir l'entrée, que l'on observe le caractère exceptionnel des demi-colonnes flanquant le portail au lieu de pilastres, selon un parti architectural nouveau en Sardaigne et aussitôt imité dans les églises de Tergu et de Bulzi. Ici à Saccargia l'emploi de tambours noirs ou blancs à chacun desquels correspond sur le mur latéral adjacent une assise de couleur opposée, brise la ligne verticale en faveur d'un effet visuel, pour ainsi dire, accentué par l'arc de décharge également bicolore et par le linteau sombre légèrement en bâtière. Une fois entré dans la nef, les murs nus orientent aussitôt les regards vers la zone du sanctuaire où, perpendiculairement aux arcades d'accès au transept, le mur du fond est percé de l'arcade d'entrée de l'abside; celle-ci garde la décoration romane à la fresque, très restaurée mais encore substantiellement lisible.
Les fresques de l'abside
Dans l'abside médiane de la Très-Sainte-Trinité de Saccargia, demeure un cycle de fresques ... L'importance du document réside dans l'extrême rareté des témoins picturaux de l'époque romane subsistant en Sardaigne, où l'on peut seulement signaler des vestiges à San Simplicio d'Olbia (1110-1120) et à Saint-Laurent de Silanus (fresques du XIVe siècle), outre les faibles traces de décoration murale dans l'abside de Saint-Jean de Viddalba (fin XIe siècle) et de Sainte-Marie d'Orria Picchinna à Chiaramonti (débuts du XIIIe siècle). ... Le cycle de Saccargia se compose de quatre registres, selon une division en bandes horizontales superposées qui occupent entièrement l'espace de l'abside. Le quart de sphère du cul-de-four est cerné d'une bande ornementale avec des effets de tapisserie où à intervalles réguliers s'insèrent des roues à plusieurs cercles concentriques de triangles bicolores, imitant les roses à incrustation sur les façades d'influence pisane parmi lesquelles celle de Saccargia due à l'agrandissement de 1180-1200. Le centre du cul-de-four est occupé par une mandorle de forme gothique en arc-en-ciel comme l'arc du cercle horizontal du globe sur lequel est assis le Christ en majesté, bénissant de la main droite, en position frontale et nimbé, qui tient de la main gauche un livre ouvert où est écrit : ego sum alfa et o primus et novissimus initium et finis. Autour de la mandorle, il y a dans le haut des séraphins à six ailes, iconographie inhabituelle en Sardaigne, où l'unique représentation analogue se trouve sur le linteau sculpté de Saint-Séraphin de Ghilarza (XIVe siècle) ; dans le bas, des anges qui s'éloignent en regardant le Christ. De chaque côté se trouvent deux personnages somptueusement parés, sans doute des archanges, aux vêtements richement décorés, nimbés comme tous les autres personnages. Le demi-cylindre absidal est divisé en trois registres par des bandes ornementales dont celle du haut est faite d'un tissu géométrique de fleurs à quatre pétales en diagonale, côte à côte avec les pointes des pétales en contact (chacune de couleur différente); la bande inférieure présente une suite de palmettes classiques. Dans le bas, le bleu foncé du fond est presque entièrement caché par des courtines. Dans le haut, de part et d'autre de l'unique fenêtre, défilent la Vierge orante (à gauche de l'ouverture) et treize apôtres. Le registre médian offre cinq scènes de la vie du Christ, à partir de la gauche (après un personnage agenouillé devant saint Benoît) : la Dernière Cène, le Baiser de Judas, la Crucifixion, l'Ensevelissement et la Descente aux enfers. La suite des récits, comme aussi le schéma général du cycle, ne sont pas significatifs, car ils respectent un programme iconographique largement répandu. ...
(extrait de : Sardaigne romane ; Renata Serra, Ed. du Zodiaque, Coll. La Nuit des Temps, 1979, pp. 305-334)
Descriptif de l'édifice en italien (avec coordonnées GPS) : "Carta e Guida alle Chiese Romaniche della Sardegna" ; Sando Mezzolani, Collana NATURA e ARCHEOLOGIA, Alpha Editoriale, 2. éd. 2007